Avant propos de Frédéric DARD
« COTTAVOZ » – Catalogue Galerie Kriegel 1971 / ©Edition Sanbi 1991
Beaucoup plus qu’à son créateur, l’œuvre d’un peintre appartient à qui l’apprécie. En vertu de quoi je suis fier de celle de Cottavoz comme d’une production qui me serait personnelle.
La peinture de Cottavoz me comble en m’accordant cette félicité de l’esprit, cette fête du regard que seul l’art communique lorsqu’il est pleinement reçu.
Et je suis sûr, mon instinct me l’affirmant, que je reçois totalement Cottavoz. Je parle le Cottavoz couramment et je le lis dans le texte du bout des doigts.
Ses toiles font partie de ma vie.
Au fil des ans, elles me sont devenues indispensables.
La lumière jaillie de sa glaise durement touillée m’éblouit et me réchauffe.
Cottavoz pétrit la monde de ses grosses pattes viriles et l’emporte, non pas aux limites de l’abstraction, comme il est prétendu dans sa biographie Larousse, mais jusqu’à celle du concret, beaucoup plus indécises et périlleuses somme toute. J’entends par là que, partant du concret, Cottavoz le réinvente après être passé par les filtres mystérieux de l’abstrait. Toute peinture requiert un certain éloignement de celui qui la contemple, car le rapprochement annihile les facultés de perception. C’est la débâcle de la réalité examinée de trop près. Mais les œuvres de Cottavoz échappent à cette impitoyable règle. Regardez-les à bout portant et vous continuerez « d’ascensionner » sur les flancs tourmentés de cette peinture volcanique en trois dimensions. Sa pâte est une lave en fusion (qui comme la vraie lave, met très longtemps à sécher), une espèce de tumulte minéral aux caprices médités.
Vu de près, Cottavoz est purement abstrait, comme le devient paradoxalement la nature vue de loin.
Il « fait » de la peinture.
Une peinture de bâtisseur.
Une peinture de maître maçon (d’ailleurs il peint à la truelle). Une peinture noblement paysanne que l’on emporte à la semelle de ses souliers comme la terre grasse des labours.
Pour qui sait rêver, à qui peut frémir, elle offre les sages richesses d’une réalité que l’artiste a su conquérir en allant voir au tréfonds de lui-même s’il y était.
Et il y était !
Rarement talent n’a été plus incontestable, plus évident ! Il suffit de regarder pour croire.
Mais que je vous dise l’homme…
Il ressemble à ses toiles, paraît s’être inventé lui-même et avoir réalisé en se réalisant une ébauche de ce que serait son œuvre. Sublime brouillon à l’écorce lunaire, son visage est la préfiguration de son art.
Cottavoz est un être bien rythmé, tendre et bourru, un peu pathétique comme l’est la simplicité à l’état pur. Un garçon qui se préoccupe moins de savoir si la vie a un sens que de donner un sens à sa vie. Son atelier me fait songer à une espèce de four à chaux et je m’étonne de n’en pas voir sortir une longue cheminée grise.
Son immense palette circulaire ressemble à quelque roue sarrasine tombée du char trop lesté qui lui apportait la matière première.
L’admiration est un acte de foi terriblement exaltant. J’admire Cottavoz depuis ses premières esquisses et j’ai suivi son évolution avec plus de ferveur que mon propre destin.
J’habite « chez des toiles de Cottavoz ». Ce sont d’intenses présences qui m’apaisent et me stimulent.
Pourtant , à intervalles réguliers, le besoin me prend d’aller en son antre vérifier si l’artiste est fidèle à la foi que je lui voue.
Je retourne à son œuvre comme on retourne au pays natal, le cœur étreint d’une capiteuse angoisse, en se demandant s’il aurait changé. Chaque fois en effet, l’œuvre a bougé, s’est déplacée. Elle a pris de nouveaux rameaux.
Elle est encore plus solide, plus sûre, plus formelle qu’à ma précédente visite.
Ce que j’éprouve alors ressemble à du bonheur.
Je passe lentement ses toiles en revue.
Je les contemple. Je les caresse. Je les écoute.
Et je cherche à me faire aimer d’elles.
Frédéric DARD